mardi 30 octobre 2007

La mère à Bob

Samedi matin est parti un autre pan de mon histoire, une page de mon adolescence, un morceau de ma vie, découpé en pièces de puzzle dont on ne connaît jamais le dessin final.

Ma belle Bob a perdu sa maman. mais en fait, elle l'avait déjà perdue il y a longtemps. Depuis que sa mère n'était plus sa mère, que la mamie de ses enfants n'était plus la mamie.

Ça a commencé par des petites choses anodines... Plus de sacs de plastiques que la normale, des piles de pots de yogourt entassées dans le garde manger, des voisines qui se plaignent du caractère de Hélène qui a toujours été si douce... Puis Bob a emmené la belle Hélène voir le médecin qui lui a fait passer des tests tellement faciles qu'elle a échoué et tout s'est écroulé. Quelle heure est-il, quelle année sommes-nous, dessinez-moi un cercle dans un carré... Hélène est sortie de là insultée , certaine que le doc l'avait fait exprès pour l'humilier... Et ma Bob était sous le choc. C'était donc ça ! C'était donc aussi évident ?

Puis Hélène a fait sa visite du centre pour personnes agées en disant cent fois au directeur que c'était pas pour tout de suite... Et elle y est allée, s'est retrouvée dans une petite chambre, s'est fait voler sa belle chemise, a perdu sa belle bague, s'est fait rationner ses cigarettes... Et les petits enfants ont espacés leurs visites parce qu'on les protégeait de la sale vie plate qui prend les mamies pour des sacs à trous. Pour ne pas qu'ils voient que la vie s'en va de nous par des chemins pas mal torves, pernicieux et silencieux.

Hélène est partie. Il reste mes 14 ans dans la chambre de Bob, sa robe de bal faite à la main qui ressemblait à une couverture de Vogue des années 60, tout ce que sa mère transformait avec ses doigts de fées, les choses qu'elle gardait de ses belles années à elle, dans son coffre de cèdre et qu'elle sortait à Bob qui les portait... Il reste sa cigarette allumée perpétuellement, comme un butch éternel mais jamais vulgaire, son petit verre de coke (qui sentait autre chose des fois...), ses cheveux gris argent, ses petits yeux bleus électriques qui voyaient tout et sentaient tout... Et charmeurs, tellement charmeurs !

Hélène c'est nos coupes de cheveux réciproques à minuit et demi et nos essais ratés sur la couleur des miens... Et la nappe toujours dressée pour le lendemain, où son Roger tartinait ses toasts le matin en découvrant des mèches de cheveux oubliées... Roger silencieux qui nous confondait Bob et moi et dans la bouche de qui mon surnom sonnait comme un aveu difficile à faire.

Hélène c'est son fauteuil bleu, les veillées sur le balcon d'en avant, les grilled cheese au fer à repasser, le garde-manger toujours plein... C'était la négociatrice, l'intermédiaire, le gérant, la confidente, la complice, la voix de Roger... Elle me manque comme mon adolescence me manque et ne reviendra pas. Mais il y a Bob et bon Dieu, Bob, t'es pareille comme ta mère, le petit butch en moins... !